Un Matisse volé par les nazis rendu aux héritiers

Article écrit par Philippe Dagen – Publié le 22 mars 2014
Un musée norvégien, le Henie Onstad Kunstsenter (HOK), a annoncé, vendredi 21 mars, une décision rare : il restitue sans conditions aux héritières du galeriste parisien Paul Rosenberg un tableau d’Henri Matisse, Profil bleu devant la cheminée, aussi nommé Robe bleue devant un fauteuil ocre.
Ainsi s’achève une histoire de spoliation révélée en 2013 (Le Monde du 3 mai 2013) et devenue emblématique, si bien que la décision du HOK pèsera dans des cas similaires non résolus.
L’affaire commence en avril 1941. Des agents de l’Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg (ERR), organisme chargé du pillage des collections juives, se rendent à Libourne (Gironde). Une dénonciation leur a appris que le coffre d’une banque locale contient les toiles que Paul Rosenberg a cru mettre à l’abri avant de fuir avec sa famille en juin 1940.
Profil bleu s’y trouve, avec dix-sept autres Matisse, des Picasso, des Braque, des Masson – 162 œuvres en tout. Transporté au Jeu de paume, siège de l’ERR à Paris, il est enregistré le 5 septembre 1941 par Helga Eggemann et Anne-Marie Tomförde, deux employées, et photographié recto et verso.
Il est ensuite pris dans le trafic fructueux que l’ERR entretient avec des marchands « aryens », allemands et français. Le 10 mars 1942, d’après sa fiche, il est cédé à l’un d’eux, l’Allemand Gustav Rochlitz, qui le revend au Français Paul Pétridès. Aucun d’eux ne peut avoir de doute sur l’origine frauduleuse de la toile, qui porte au dos les lettres PR, pour Paul Rosenberg.
A une date inconnue, Paul Pétridès revend le Matisse à un de ses confrères parisiens, Henri Bénézit, lui aussi connu pour son implication dans ce trafic. Un peu plus tard, Henri Bénézit le cède au collectionneur norvégien Niels Onstad. Celui-ci se doute-t-il alors de l’origine du tableau ? Rien ne permet de répondre.
JOYAU DE LA FONDATION ONSTAD
En 1956, Niels Onstad épouse la richissime Sonja Henie, championne de patinage puis actrice. En 1961, le couple décide de faire de sa collection une fondation à leurs deux noms, ouverte en 1968. Profil bleu en est l’un des joyaux. Jusqu’en 2012, nul ne s’interroge sur le passé de la toile, parmi les conservateurs du HKO. Ils acceptent donc de la prêter au Centre Pompidou pour l’exposition « Henri Matisse, paires et séries ». C’est alors que les enquêteurs de l’Art Lost Register (ALR) la repèrent. Leurs recherches et celles de la spécialiste française Emmanuelle Polack reconstituent bientôt toute l’histoire.
Commencent alors les contacts entre le HKO et les avocats des héritières Rosenberg – Elaine Rosenberg et ses filles, à New York, et Anne Sinclair, en France. Après avoir tenté dans un premier temps de conserver l’œuvre en mettant en doute les conclusions des experts, le musée, se voyant confondu, inverse sa stratégie. Il se glorifie donc aujourd’hui de respecter le droit international et annonce même vouloir réexaminer l’origine d’autres œuvres en sa possession. Sage précaution : Niels Onstad avait acheté chez Bénézit un deuxième Matisse, un Bonnard et un Picasso.
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