Tribulations d’un Matisse
Extrait de l’article de Philippe Dagen :
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« TROC DE TABLEAUX
Forte de ces premières données, Emmanuelle Polack se rend aux archives du ministère des affaires étrangères pour consulter le fonds de la Commission de récupération artistique, créée à la Libération. S’y trouve le dossier des demandes de restitution présentées par Paul Rosenberg. Robe bleue dans un fauteuil ocre y est citée, page 71. Un document précise que la toile n’a pas été restituée en 1947.
Elle n’est en effet pas restée longtemps au Jeu de paume. « Comme d’autres Matisse, raconte l’historienne, elle a été entraînée dans une procédure d’échange, du genre de celles que l’ERR a pratiquées en faveur d’Hermann Goering. » Le procédé est simple : troquer des tableaux volés dans les collections juives contre des oeuvres que le Reichsmarschall exige de posséder et ne peut voler impunément parce que leurs propriétaires ne sont pas juifs. Un marchand d’art allemand, Gustav Rochlitz, est l’intermédiaire habituel de ces échanges. Or, fait prisonnier en 1945, il a signalé lors d’un interrogatoire, le 15 août 1945, que Frau am Kamin a été vendu par ses soins à la galerie parisienne Pétridès.
La vente eut lieu probablement le 10 mars 1942, d’après la fiche de l’ERR qui mentionne le transfert de la toile ce jour-là. La galerie Pétridès a été très active durant l’Occupation, organisant des expositions de son artiste vedette, Maurice Utrillo, et profitant des « circonstances ». En 1942, l’achetant à Gustav Rochlitz, la galerie peut difficilement croire que ce Matisse est « propre ».
Que s’est-il passé ensuite ? En 1945, quand Paul Rosenberg part en quête de ses tableaux pillés, la toile se trouve-elle toujours dans le stock de la galerie Pétridès ? Ou a-t-elle déjà été cédée à une deuxième galerie parisienne, celle d’Henri Bénézit ? C’est ce dernier, d’après le HOK, qui l’a vendue au collectionneur norvégien Niels Onstad à la fin des années 1940 ou au tout début de la décennie suivante – le musée norvégien se dit incapable de préciser ce point. Les archives de la galerie Bénézit sont réputées détruites, mais celles de la galerie Pétridès pourraient faire la lumière sur cette étape. » …/…