Spoliation des biens culturels juifs : une trop lente réparation

Des milliers de Juifs ont été spoliés de leurs biens sous l’Occupation. Parmi ces biens, de nombreuses œuvres d’art qui ont parfois intégré des musées par la suite. Aujourd’hui, de nombreuses familles demandent leur restitution. Une procédure longue et dont le succès est incertain.
La Cour d’appel de Paris a ordonné ce mercredi 30 septembre la restitution des trois oeuvres de Derain à la famille Gimpel. L’Etat ainsi que la ville de Marseille représentant les musées de Troyes et Cantini ne vont pas se pourvoir en cassation. La Cour a reconnu que ces tableaux avaient été spoliés et qu’eu égard aux conditions dans lesquelles René Gimpel a été contraint de s’en séparer, les ventes auxquelles il a procédé pendant l’Occupation sont des ventes forcées au regard de l’ordonnance du 21 avril 1945. Cette décision est un « soulagement » pour Claire Gimpel et met fin à sept ans de procédures.
La bataille a débuté en 2013 pour Claire Gimpel. La petite-fille du marchand d’art René Gimpel devrait enfin connaître la réponse de la justice d’ici quelques jours, le 30 septembre. La cour d’appel de Paris rendra sa décision sur le sort de trois tableaux de Derain ayant appartenu à son grand-père et spoliés sous l’Occupation.
« Mon grand-père reprend les affaires de son père lorsqu’il a 24 ans et les développe. Il ouvre une galerie à Londres en plus de celles de la place Vendôme et de New-York, détaille Claire Gimpel. Mais la guerre change tout ! En 1940, il décide de partir dans le sud à Marseille. Il va participer à la création d’un réseau de résistance, Azur Transports, mais il n’abandonne pas ses affaires. Il est contraint de vendre dans de mauvaises conditions car il est sous le coup des lois de Vichy. Il sera finalement arrêté en mai 1944 et il mourra à Neuengamme en janvier 1945. »
Un travail titanesque pour retracer le parcours des œuvres
En quittant Paris, René Gimpel laisse des malles de tableaux en gage à des transporteurs d’œuvres d’art. Au total, 87 caisses sont volées par les Allemands : « Ils savaient très bien ce qu’ils cherchaient, explique Claire Gimpel. Ils traquaient dans la France entière, ils avaient des listes, des noms, des adresses. Ce n’est pas du pillage, c’est totalement organisé et structuré. »

Parmi les tableaux volés, on retrouve plusieurs tableaux de Derain. Trois sont aujourd’hui dans les musées de Troyes et Cantini de Marseille. « Avant d’être à Marseille, l’un des tableaux appartenait à un monsieur qui s’appelait Augustin Terrain et il écrit que le tableau est dans sa famille depuis 1943. Donc acheté pendant que les lois de Vichy sont en vigueur. Ca peut donc être considéré comme une vente forcée. » Il faut alors retracer le parcours de ces œuvres à travers les archives de René Gimpel, ses courriers : « un travail titanesque » selon sa petite-fille.
On ne va pas trouver de facture car mon grand-père étant juif, il est interdit de vendre. Mais il tenait un registre, un livre d’inventaire. Il rajoute une colonne observation pendant la guerre afin de savoir où se trouve chaque tableau. A la fin du livre, il écrit « quand j’écris la mention rendu à son propriétaire, cela signifie que l’objet ne m’appartient plus ou ne m’a jamais appartenu ». C’est un code ! Quand il rend un tableau à son propriétaire, il indique son nom. Quand il n’y a pas de nom, c’est que le tableau a été vendu. Il ne peut pas l’écrire noir sur blanc car si ce livre tombe entre les mains des allemands, il sera arrêté pour avoir fait des ventes.

Malgré nos demandes, le musée Cantini de Marseille et les musées de France (pour le musée national de Troyes) n’ont pas souhaité répondre à nos questions. En première instance, en août 2019, la famille Gimpel a été déboutée de sa demande de restitution. La décision d’appel sera rendue le 30 septembre. Cette affaire illustre la difficulté des procédures de restitution et dévoile un marché de l’art dont beaucoup ont profité sous l’Occupation.
Le marché de l’art sous l’Occupation
L’art est un domaine important du projet nazi, il est même au cœur de la politique du national socialisme selon Emmanuelle Polack, docteure en histoire de l’art, auteure du livre « Le Marché de l’art sous l’Occupation » : « Cela tient en partie à la personnalité d’Hitler qui a raté deux fois les Beaux Arts à Vienne. Les Allemands entrent à Paris en juin 1940, une semaine après il y a des repérages des officiers allemands qui vont lister les œuvres, apposer des scellés chez les grands collectionneurs et piller les tableaux. Le but c’est que les plus belles pièces viennent orner le musée de Litz voulu par Hitler. »