Rendre les œuvres d’art volées par les nazis, l’histoire d’une enquête monumental
Près de 100 000 objets culturels spoliés aux familles juives par les nazis ont été transférés de la France vers l’Allemagne durant l’Occupation. Aujourd’hui, les historiens continuent de chercher les traces des propriétaires.
Dans un train à destination de Zurich, un vieil homme a les yeux perdus dans le vague. Son air absent intrigue les douaniers, qui procèdent à un contrôle. Ils trouvent 9 000 euros en liquide et des faux papiers. Une banale affaire de fraude fiscale, pensent-ils alors, loin de se figurer l’incroyable histoire derrière cette fausse identité.
Quatre ans d’enquête plus tard, en 2014, les policiers débarquent au domicile du vieil homme. Et tombent des nues. Un véritable trésor trône dans cet appartement loué à Munich, éparpillé entre les boites de conserve périmées et les déchets. Près de 1 500 œuvres d’art. Des tableaux de Picasso, Renoir, Matisse, Monet, Cézanne, ou encore Chagall peuplent ce taudis. Comment ? Pourquoi ? Le vieil homme n’était autre que Cornelius Gurlitt, le fils du marchand d’art d’Hitler. Les œuvres, des témoins d’un pillage systématique et organisé au sommet de l’État. Alors que l’on déportait les Juifs vers les camps de la mort, les tableaux rejoignaient les salons cossus des dignitaires nazis.
Une poignée d’historiens s’affairent à réparer comme ils le peuvent. Ils cherchent les propriétaires des œuvres pour rendre ce pan d’histoire aux victimes. Un titanesque travail d’enquête, qui nécessite des journées entières à plonger dans des archives, à scruter les détails d’un tableau, à passer des coups de fils pour retrouver les descendants, les survivants. Emmanuelle Polack, historienne de l’art, est l’une de ces chercheuses qui luttent contre l’oubli. Ancienne membre de la Task Force Gurlitt, cette équipe spécialement composée pour restituer les tableaux trouvés chez Cornelius Gurlitt, elle travaille aujourd’hui pour le musée du Louvre. Sa mission : chercher, en coordination avec les huit départements du Louvre, la provenance des œuvres volées qui sont conservées au musée.