Juifs des campagnes en Russie (Libération)
Article de Frédérique Fanchette paru dans Libération du 23 février 2006 :
» Sortir les juifs des métiers du ghetto (tailleur, brocanteur, « mange-clou »…), les transformer en paysans et artisans, lutter contre le phénomène des Luftmenschen (en yiddish « hommes qui vivent de l’air du temps ») fut durant le premier tiers du XXe siècle la tâche de l’ORT. Cet organisme, né en 1880 en Russie sous le nom d’Union des sociétés pour le développement du travail industriel, artisanal et agricole parmi les juifs », existe toujours. Il y a dix ans, Serge Klarsfeld fouillait la cave de son siège parisien et exhumait des négatifs de verre. Des clichés furent accrochés au Museum of Jewish Heritage, à New York. » …
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Il était une fois le Yiddishland …
Le musée d’art et d’histoire du judaïsme, à Paris, raconte en une soixantaine de tirages photographiques, des scènes de la vie juive d’avant la Shoah, en Europe centrale et orientale. Il s’agit d’une collection inédite de photographies sur l’ORT (une organisation juive de formation professionnelle) réalisées à partir de plaques de verre originales découvertes par une historienne, Emmanuelle Polack -commissaire de l’exposition- dans les archives de l’ORT-France, et montrées pour la première fois après restauration.
Aider son prochain en lui enseignant un métier afin qu’il ne soit pas obligé, pour vivre, de tendre la main : tel est, en résumé, l’objectif de l’ORT, une institution juive internationale d’éducation et de formation qui est née à la fin du XIXe siècle. C’est dans les archives de l’ORT que furent retrouvées quelque 250 photographies sur plaque de verre, qui racontent un épisode relativement peu connu de l’histoire contemporaine des communautés juives. Elles témoignent de la création et du développement de « colonies agricoles juives » par les nouvelles autorités soviétiques au début des années 20, en Union soviétique, en Lituanie, en Lettonie, en Pologne et en Roumanie. Le but de cet organisme était d’apporter une main secourable aux sans-abri, aux fiancés pauvres, aux orphelins, aux savants démunis, et de « normaliser la vie juive » (comme il est expliqué dans le film vidéo qui accompagne l’exposition), dans le cadre d’activités professionnelles considérées comme productives, susceptibles de favoriser leur intégration dans le monde moderne.
Quel est donc ce Yiddishland ? Véritable invitation à remonter le temps, l’exposition a le mérite de cherche à reconstituer le fil de l’histoire. Emmanuelle Polak souligne : « l’histoire des colonies agricoles juives de l’Empire russe renvoie à la question du statut des Juifs de Russie. En 1804, le gouvernement du tsar Alexandre Ier avait décidé d’œuvrer à l’amélioration de la condition de vie des Juifs de l’Empire en les attirant vers le travail de la terre ». Pause au milieu des vignes, scène de vendanges, colonie active dans une plantation de tabac, famille réunie en costume cravate devant le pas de porte de la maison, attablée sur une nappe fraîchement dépliée un jour de shabbat, famille de montagnards des Carpates, assis devant leur maison, en torchis et au toit de chaume : autant d’évocations des shtetl (localités où l’on parlait yiddish), c’est-à-dire des « zones de résidence » qui étaient imposées par le tsar. Ces mêmes exploitations agricoles juives seront, plus tard, transformées en kolkhozes, c’est-à-dire en coopératives agricoles appartenant à l’Etat.
Des photos qui « relèvent de la propagande »
Jeunes gens et jeunes filles dans des ateliers de couture, de cordonnerie, d’ébénisterie, hommes et femmes s’affairant dans les champs et dans les fermes ou posant fiers et droits devant une machine agricole, petits enfants studieux sur les bancs d’école : ces « belles images » du passé, nostalgiques, racontent toute une page d’histoire qui va de 1900 à 1930. Le visiteur est invité à découvrir comment, pour le pouvoir soviétique, « l’émigration des Juifs vers les terres agricoles et la création de ces réseaux d’ateliers semi-industriels ont représenté, à un moment donné, une ‘réussite’ en permettant une intégration économique des Juifs et en contribuant à améliorer leur niveau social », explique Emmanuelle Polack, responsable des archives de l’ORT. Elle poursuit : après quelques années de succès, « ces colonies se sont dissipées lorsque Staline, refusant tout statut particulier aux Juifs, entama une collectivisation forcée de l’agriculture et de l’industrie. L’ORT voit son action progressivement bridée jusqu’à être interdite en 1938, tandis que l’Europe fait face à la montée du nazisme ».
Poses photographiques devant des charettes, des tracteurs ou des moissonneuse-batteuses : « Les familles juives d’Europe occidentale et d’outre-mer, notamment celles des Etats-Unis, furent invitées à envoyer à leurs parents de Russie des équipements, des instruments de travail, et des semences », explique Emmanuelle Polak. Les photographies de 1921 à 1938 « relèvent par conséquent de la propagande », souligne la commissaire. Elles attestent que l’argent de la manne étrangère est bien employée au « reclassement des Juifs » et à la « régénération » par le travail. Le film, les panneaux explicatifs et le catalogue Artisans et paysans du Yiddishland (éditions d’Art Somogy) -qui accompagnent l’exposition- complètent les pages manquantes de l’histoire, et racontent comment, après ce succès temporaire de l’entreprise, la communauté juive d’URSS, spoliée de ses biens, a subi les « purges staliniennes de 1937 et 1938, provoquant des coupes sombres au sein de la communauté », mettant un point final à l’entreprise de l’ORT en URSS. A Paris, jusqu’au 21 mai.
par Dominique Raizon
Article publié le 17/03/2006 Dernière mise à jour le 17/03/2006 à 10:09 TU
http://www.rfi.fr/actufr/articles/075/article_42533.asp
« Artisans et paysans du Yiddishland 1921-1938, du shtetl au kolkhoze »
Article de Véronique Chelma – http://veroniquechemla.blogspot.com/
Après le MAHJ (musée d’art et d’histoire du Judaïsme) et la Mairie du IIIe arrondissement de Paris dans le cadre du Festival des cultures juives, le musée Juif de Belgique accueille l’exposition éponyme de photographies. Assortie d’un magnifique catalogue trilingue, cette exposition témoigne de l’histoire méconnue des « colonies agricoles juives » créées par les autorités soviétiques dans les années 1920 avec l’aide de l’ORT, organisation juive de formation professionnelle, et l’apport financier de la diaspora Juive, et disparues lors de leur transformation en kolkhozes. Ces « colonies » ont contribué à la « régénération » des Juifs ayant quitté leur shtetl du Yiddishland.
rue des Minimes 21, 1000 Bruxelles
Tél. : 02 512 19 63
Tous les jours de 10 h à 17 h. Fermé le lundi. Nocturnes sur demande
Esquisse pour un bon de souscription en yiddish
années 20 © MAHJ
Vers les champs
Europe de l’est, années vingt
© Archives Union mondiale ORT
Sur le tracteur, colonie Friling (« Printemps » en yiddish)
Région d’Odessa,Ukraine,URSS, automne 1928
© Archives Union mondiale ORT
Les citations sont extraites du dossier de presse et du catalogue de l’exposition.
Cet article a été publié une première fois en juin 2010 et republié le 10 décembre 2011.
Article de Véronique Chelma
http://veroniquechemla.blogspot.com/
Read More« L’ORT et le Yiddishland »
« L’ORT est bien plus que cette organisation juive connue à travers le monde pour ses écoles professionnelles. Née dans la Russie tsariste de la fin du XIXe siècle, elle a activement participé à l’histoire des Juifs d’Europe de l’Est à l’aube du XXe siècle. Fondée pour mieux les aider à s’intégrer à la société russe, elle a organisé des ateliers de formation aux métiers manuels et agricoles en se fixant comme objectif la rationalisation du travail. L’institution a étendu cette politique économique surtout après l’avènement du régime soviétique. Ainsi, son action sans précédant a permis aux Juifs du Yiddishland de sortir de leur condition misérable en leur offrant de nouveaux emplois qui leur étaient jusque là refusés. Même si l’initiative de l’ORT était apolitique à ses débuts, elle a été récupérée par le régime soviétique en l’intégrant à sa politique économique globale.
Dès 1870-1880, les chefs spirituels du Judaïsme russe prônaient la création d’une Organisation visant à aider la population juive appauvrie à fonder une vie nouvelle basée sur le travail agricole au sein de fermes collectives et sur des métiers manuels artisanaux comme la cordonnerie, la menuiserie ou la couture.
Au début de 1880, un groupe d’intellectuels et d’industriels juifs décida de venir en aide à leur communauté. A cette époque, les Juifs interdits de résidence dans la plus grande partie du pays, ayant accès à un nombre limité de professions, vivaient souvent dans une grande indigence. Pour améliorer leur condition et les aider, l’un des membres de la communauté juive de Saint-Pétersbourg, Samuel Poliakov, présenta au Ministère de l’Intérieur une pétition sollicitant l’autorisation de créer un Fonds d’aide à la population juive nécessiteuse afin de créer des écoles professionnelles, d’installer des fermes modèles et de faciliter la mobilité des artisans.
Une lettre circulaire fut distribuée aux communautés juives de Russie, sollicitant la participation de chacun à la création d’un Fonds. En deux mois, 12.457 personnes, dans 400 villes et villages répondirent massivement à cet appel par des contributions totalisant 204.000 roubles or. Ainsi, l’ORT (Obschestvo Remeslenovo i zemledelcheskovo Trouda : Organisation pour le développement de l’artisanat et de l’agriculture) vit le jour le 22 mars 1880.
Mais la situation politique de la Russie tsariste restait instable. En 1881, l’assassinat du tsar Alexandre II par des révolutionnaires provoque une grande confusion dans le pays. Accusés d’en être responsables, les Juifs subissent de nombreux pogroms. Un climat antisémite s’installe durablement, conforté par la politique sévère des tsars Alexandre III et Nicolas II.
De 1881 à 1906, l’ORT collecte plus d’un million de roubles et procure ainsi une formation artisanale à 25.000 juifs dans 350 villes et villages de l’Empire russe. En 1905 le gouvernement de Russie reconnaît officiellement l’existence de l’ORT.
Suite à la Révolution russe de 1917 et à la prise du pouvoir par les Bolcheviques, les Juifs connaissent quelques mois de liberté grâce à l’abolition de toutes les contraintes de l’ancien régime. En 1918 – 1919, le nouveau régime est, a priori, hostile à toute politique particulière concernant les Juifs. Au vu de la gravité de leur situation, il crée cependant un éphémère « Commissariat aux affaires juives », dont la première action est d’aider les victimes des pogroms et de la guerre civile. Aboli en 1919, il est remplacé par la « Section juive du parti communiste », créée en 1918. Désormais, les organisations juives encore présentes, dont l’ORT, continuent d’agir sous le strict contrôle de l’Etat. Cette dernière se développe dans l’urgence face à des populations juives victimes des pogroms, de la famine et de la guerre civile.
Jusqu’en 1920, l’action de l’ORT est modeste et limitée à la Russie. Elle aide notamment les Juifs à sortir de leur zone de résidence en participant à leur établissement comme tailleurs, cordonniers, tapissiers, ou en assistant les nécessiteux. L’ORT s’engage aussi dans le mouvement d’éveil intellectuel des Juifs de Russie, avec le développement d’une littérature en yiddish, en hébreu et en russe qui fait naître une conscience nationale juive.
En 1921, Lénine, nouveau chef de la Russie soviétique, instaure la NEP (nouvelle économie politique) qui libère les échanges pour les paysans, les commerçants et les petits entrepreneurs. L’ORT se consacre alors aux orphelins et aux sans-abri auxquels elle offre toit et éducation. Son action se plie à la volonté du nouveau régime de « normaliser » la vie juive. Bien que les Juifs ne connaissent plus de ségrégation, ils ne sont pas reconnus en tant que groupe et doivent trouver une intégration économique. En rationalisant l’organisation du travail et en se déployant à l’étranger pour rassembler des fonds, l’ORT n’est plus seulement à but philanthropique mais surtout social, en étant active dans les territoires du Yiddishland, autrefois sous domination russe : Pologne, Lituanie, Lettonie, Bessarabie, Roumanie, ainsi qu’en Europe occidentale. Soutenue financièrement par les communautés juives occidentales, l’ORT contribue à répandre l’idée du travail manuel chez les Juifs, en insistant sur la nécessité d’un changement de leur structure économique. Elle instaure un réseau actif de fermes et d’écoles. L’ORT est la principale organisation d’Union soviétique à secourir, après 1922, les fermiers juifs d’Ukraine qui ont souffert de la Première guerre mondiale et de la guerre civile. Elle aide de nombreux Juifs à se convertir à l’agriculture en Bessarabie, en Pologne et en Union soviétique. L’ORT forme de nombreux jeunes et artisans aux techniques industrielles, ainsi que tous ceux que l’économie communiste a privé de leur métier traditionnel. Dans ce but, entre 1920 et 1928, l’ORT crée des centrales d’achat de matériel industriel et agricole.
La création par le gouvernement soviétique en janvier 1925, de la « Société pour la Promotion de l’Etablissement juif », ou ‘’Société pour l’emploi agricole des travailleurs juifs’’ se voulait une solution pour assurer la survie économique mais aussi l’existence nationale. Outre la Crimée, d’autres régions agricoles juives sont créées avec l’aide d’organisations occidentales entre 1927 et 1935. Mais l’intégration des Juifs dans l’Union soviétique est surtout passée par leur installation hors de l’ancienne zone de résidence et leur accès aux fonctions de l’administration, des sciences et de la culture.
De 1925 à 1928, des accords passés entre l’ORT et les autorités soviétiques consentent officiellement à celle-ci d’investir en URSS, à y importer du matériel, des techniciens et à y lancer des programmes en faveur de l’établissement agricole et industriel des Juifs. En URSS, le programme de l’ORT rencontre la volonté des autorités de rendre les Juifs « productifs ». Au-delà du mouvement de retour à la terre, il y a ainsi convergence d’intérêts sur le long terme. Cette situation est cependant atypique car en Pologne, Lituanie et Roumanie, il est beaucoup plus difficile de bâtir des programmes de travail, d’autant qu’en 1926, deux de ces pays connaissent coups d’Etat et établissement de dictatures.
En 1928, parallèlement à l’idée sioniste, l’agriculture semble représenter une solution au « problème juif ». Le gouvernement soviétique pense le résoudre en créant une éphémère république autonome juive au Birobidjan, près de la Mongolie et en y installant les Juifs.
En 1930, Staline met fin à la NEP et nationalise l’agriculture, au prix de millions de morts. Le régime soviétique commence à sévir contre les institutions juives qu’il a lui-même mises en place. Par ailleurs, il commence à mettre un fort accent sur l’industrie. En s’ajustant aux plans quinquennaux, l’ORT, par sa politique de formation professionnelle et d’aide à l’équipement, est l’un des instruments de cette politique. Ainsi, son organisation est de plus en plus intégrée aux institutions économiques soviétiques. Mais Staline refuse tout statut spécifique aux Juifs et entame une collectivisation forcée de l’agriculture et de l’industrie ; l’ORT voit son action graduellement freinée, jusqu’à être interdite en 1938, tandis que l’Europe fait face à la montée du nazisme.
En 1936 – 1938, débutent les purges staliniennes dirigées en particulier contre les intellectuels et les Juifs.
En 1938, l’épopée de ces Juifs prend fin avec le non renouvellement de l’agrément de l’ORT par Staline qui la dissout en URSS.
Une collection de photographies exceptionnelles retraçant cette belle et brève aventure mal connue reposait depuis des décennies dans les caves de l’ORT. Emmanuelle Polack, responsable du département Archives et Histoire de l’ORT France, les a redécouvertes et commentées en les présentant pour la première fois en 2006 au Musée d’art et d’histoire du judaïsme de Paris. Intitulée ‘’artisans et paysans du Yiddishland (1921-1938)’’, l’exposition qui vient de se terminer à Paris, a ainsi témoigné de façon unique de cette parenthèse historique singulière. »
Israel Magazine / Noémie Grynberg 2006
http://www.noemiegrynberg.com/pages/histoire/l-ort-et-le-yiddishland.html
Read More« La fille du charbonnier » d’Emmanuelle Polack & Sarah Royon
Les éditions L’Harmattan publient La fille du charbonnier, un conte bilingue français-yiddish écrit par Emmanuelle Polack et sa fille écolière, Sarah Royon. Un récit charmant et simple sur l’amour familial et l’intelligence sauvant de situations délicates.
Cet article a été publié par Guysen International News et le numéro 79 de mars 2010 de la revue Los Muestros
Ouest France – Mars 2010
« Un livre document en images pour apprendre autrement »
Ouest France
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