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Emmanuelle Polack

Aider à la reconnaissance des familles spoliées

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Avec pugnacité, Emmanuelle Polack, docteure en histoire de l’art, se bat en faveur des restitutions d’œuvres d’art spoliées pendant la Seconde Guerre mondiale.

Recueilli par Sabine Gignoux

« Je n’imaginais pas devenir un jour ce que l’on appelle une «chercheuse de provenance» pour les œuvres d’art spoliées. Étudiante, je m’étais spécialisée dans le marché de l’art sous l’Occupation, à cause de ma famille où l’on a des penchants collectionneurs. J’ai réalisé une exposition sur l’action courageuse de Rose Valland au Jeu de paume, là où transitaient les œuvres confisquées par les nazis. J’ai publié ses carnets, aidée par Philippe Dagen, professeur d’histoire de l’art à Paris 1. Puis, avec lui, je me suis lancée dans une thèse sur « Le marché de l’art sous l’Occupation » (1). En plongeant dans les archives, j’ai découvert alors un marché extrêmement actif, florissant, autour de tous les biens spoliés aux familles juives transitant par des galeries ou des ventes aux enchères, notamment à Drouot.

En 2014, j’ai aidé ainsi à une première restitution d’un tableau de Matisse spolié au galeriste Paul Rosenberg, repéré lors d’une exposition au Centre Pompidou et dont j’ai retracé le parcours. En étudiant en Allemagne la collection Gurlitt, j’ai pu aussi identifier un tableau de Thomas Couture ayant appartenu à l’ancien ministre Georges Mandel assassiné par la milice, et trois œuvres spoliées dans la collection d’Armand Dorville. Toutes ont été restituées aux héritiers.À lire aussiUne mission sur les spoliations créée au ministère de la culture

Dans cette recherche de la vérité, je me suis heurtée à bien des résistances. Je touche à une période sombre de notre histoire qui n’est pas encore vraiment passée. Heureusement, les choses évoluent. Le Louvre vient de me confier une mission sur l’origine de ses acquisitions entre 1933 et 1945. En 2019, mon exposition à Paris sur « Le marché de l’art sous l’Occupation » a attiré 65 000 visiteurs. Plusieurs familles touchées par des spoliations m’ont alors contactée. J’essaie de les guider dans leurs démarches, de les écouter aussi. Il est très important pour elles de se voir reconnues comme victimes.

Cette quête de justice a, pour moi, des résonances personnelles. Mon grand-père est mort en déportation à Buchenwald. Un jour, en consultant le bottin des familles spoliées au Mémorial de la Shoah, j’ai aussi découvert que mes autres grands-parents avaient été spoliés… de meubles et de bijoux. Nous avons alors demandé et obtenu une indemnisation. Malgré cela, dans mon travail d’historienne, je veille à rester la plus objective possible. »

(1) Publiée en 2019 chez Tallandier.

Article paru dans La Croix

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Pillées sous l’Occupation, trois œuvres officiellement restituées aux héritiers d’Armand Dorville

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Deux d’entre elles font partie du « trésor » de Hildebrand Gurlitt, identifié comme l’un des principaux artisans du trafic d’œuvres d’art volées dans les collections juives au temps du IIIe Reich.

Mercredi 22 janvier, à Berlin, en présence de Monika Grütters, ministre allemande de la culture, deux tableaux du peintre Jean-Louis Forain (1852-1931) et un de Constantin Guys (1802-1892) doivent être officiellement restitués aux héritiers de l’avocat, sénateur et collectionneur Armand Dorville (1875-1941).

Un geste qui vise à réparer la spoliation ayant eu lieu en juin 1942, à Nice, lorsque toute la collection d’art de ce passionné, mort quelques mois plus tôt, et coupable d’être juif dans la France de Vichy, avait été vendue aux enchères par le Commissariat général aux questions juives, dépouillant ses héritiers.Lire l’analyse : L’art, butin de guerre

Les deux Forain sont un Portrait de femme de profil, huile sur toile de 1881, et une Femme en robe du soir, aquarelle exécutée vers 1880 ; le Guys est une encre sur papier, Amazone sur un cheval cabré. Les deux Forain font partie du « trésor de Gurlitt » découvert en 2012 : on avait alors retrouvé 1 558 œuvres d’art dans un appartement de Schwabing, un quartier de Munich (Allemagne), et dans la maison de Salzbourg (Autriche) qu’habitait Cornelius Gurlitt (1932-2014), fils du galeriste Hildebrand Gurlitt (1895-1956). Celui-ci est aujourd’hui identifié comme l’un des principaux artisans du trafic d’œuvres d’art volées dans les collections juives au temps du IIIReich. Le Guys, passé aussi chez Cornelius Gurlitt, se trouvait, quant à lui, dans une collection privée allemande.Lire le récit : La succession Gurlitt, un fatras d’œuvres qui reste à débrouiller

A la suite de la découverte de ces œuvres cachées, les autorités allemandes ont créé la task force « Schwabinger Kunstfund » (« trésor de Schwabing »), dont le travail est poursuivi aujourd’hui par la German Lost Art Foundation. S’appuyant sur des experts internationaux, elle a pour mission de retracer l’origine et les itinéraires de ces œuvres et de rendre ses découvertes accessibles aux possibles ayants droit des collectionneurs dépossédés – pour la plupart victimes de la Shoah. Et donc de permettre des restitutions quand les héritiers ont été retrouvés et l’histoire matérielle des œuvres éclaircie.

Un « cabinet d’amateur »

Pour celles qui sont rendues aujourd’hui, l’histoire commence le 28 juillet 1941, à Cubjac (Dordogne). Ce jour-là, dans le château qu’il y possède depuis 1935, meurt Armand Isaac Dorville, petit-fils du fondateur de l’œuvre philanthropique La Bienfaisance israélite.

Il y est réfugié depuis juillet 1940, ayant quitté son appartement parisien du 16, rue Séguier, parce qu’il se sait menacé. A la fois parce qu’il est juif et parce que sa collection est de celles dont les « experts » nazis et leurs supplétifs français cherchent à s’emparer. Mais Dorville a pu l’emporter à Cubjac, en zone dite « libre », sous administration de Vichy.

Sa collection est ce que l’on appelle à l’époque un « cabinet d’amateur » : pas une galerie garnie de chefs-d’œuvre, mais un choix d’œuvres d’artistes plus ou moins illustres. Se côtoient chez Dorville des toiles de Renoir, Bonnard, Vallotton, Vuillard et des œuvres sur papier de Delacroix, Manet, Guys – 95 pièces – et Forain – trente-cinq peintures, aquarelles et gouaches. De ces deux-là, Dorville est en effet un amateur fanatique, ce pourquoi il est renommé dans le monde des collectionneurs, des marchands et des conservateurs. Il l’est aussi pour sa bibliothèque et sa collection d’autographes.

Lorsque Armand Dorville meurt en 1941, il a des héritiers : son frère, Charles, ses sœurs, Valentine et Jeanne. Mais Charles a rejoint les Forces françaises libres. Quant à ses sœurs, en raison des lois antisémites de Vichy, elles ne peuvent réclamer l’héritage. D’ailleurs Valentine et Jeanne se cachent à Lyon, puis à Megève (Haute-Savoie). En mars 1944, Valentine, ses filles jumelles et sa petite fille de 4 ans sont capturées, envoyées à Drancy, puis à Auschwitz-Birkenau où elles seront assassinées.

En 1941, peu après la mort d’Armand Dorville, un administrateur provisoire est donc désigné, nommé Amédée Croze. Il doit liquider ces biens pour le compte du Commissariat général aux questions juives, que dirige, à partir de 1942, Louis Darquier de Pellepoix (1897-1980). Sa bibliothèque et ses autographes sont vendus aux enchères à Lyon, respectivement le 1er juillet et le 5 novembre 1942.

Prix élevés

Mais la vente principale est celle des œuvres d’art, proposées aux enchères à l’Hôtel Savoy Palace, à Nice en plusieurs vacations, du 24 au 27 juin 1942. Jean-Joseph Terris, le commissaire-priseur, est un spécialiste dans le genre : après la collection Dorville, il réalise à l’été suivant deux autres ventes de grandes collections juives, la vente Burton, du 7 au 10 juillet 1943, et la vente Jaffé, les 12 et 13 juillet 1943.

Grâce aux recherches de l’historienne Emmanuelle Polack, qui lui consacre plusieurs pages dans son livre Le Marché de l’art sous l’Occupation (Tallandier, 2019) et qui a travaillé à partir des deux catalogues publiés avant la vente et des procès-verbaux d’adjudication, les détails de la vente sont connus. Terris est secondé par le commissaire-priseur lyonnais Maurice Bussillet et l’expert Eugène Martini. Un effort particulier d’information est fait en direction des amateurs suisses par le biais d’un expert genevois.Lire la tribune d’Emmanuelle Polack : Un cas concret de spoliation

Dans la Gazette de l’hôtel Drouot, qui annonce la vente le 13 juin, le nom d’Armand Dorville n’est même pas mentionné : il n’est question que du « cabinet d’un amateur parisien ».

Mais, dans le milieu, chacun connaît la provenance des lots et sait qu’elle est excellente. Résultat : un afflux spectaculaire d’enchérisseurs parisiens et des prix élevés. Le commissaire-priseur Alphonse Bellier, qui semble avoir acheté pour le compte de confrères ou de clients probablement allemands, remporte des Forain, des Fantin-Latour, deux Renoir, un Vallotton, trois Vuillard et le pastel Lionne au repos de Delacroix. Son confrère Bussillet achète onze œuvres, dont un Guys, un Forain et un Doré.

Les marchands ne sont pas en reste. On relève les noms de Nicolas Brimo, d’Alfred Daber et surtout de Roger Dequoy, ex-bras droit du galeriste Georges Wildenstein et partenaire régulier sous l’Occupation du marchand allemand Karl Haberstock.Lire le focus : Onze œuvres au Louvre issues de la collection Dorville

Itinéraire sinueux

Après la vente s’ouvre le temps des reventes, arrangements et échanges, qui rendent si complexe l’identification des provenances. Ainsi du Portrait de femme de profil de Forain : il a fallu de longues recherches pour reconstituer son itinéraire, qui est sinueux. L’œuvre, qui est le n° 176 de la vente niçoise, acquise d’abord par un nommé Léopold Dreyfus, inconnu, se retrouve ensuite chez le marchand Raphaël Gérard, collaborateur notoire, en avril 1944, puis passe de là chez Hildebrand Gurlitt, en 1953 ou plus tard.

La Femme en robe du soir a été acquise par ce même Gurlitt dès la période de la guerre, rachetée à une Mme Béatrice, inconnue elle aussi – un pseudonyme peut-être. La même a remporté l’Amazone, de Guys, aux enchères et l’a revendue à Raphaël Gérard, à moins que ce ne soit là, de nouveau, qu’un jeu de prête-nom. Plus tard, le Guys est allé de Gérard à Gurlitt père, comme le Forain, puis de Gurlitt père à Gurlitt fils, et de ce dernier à un collectionneur, qui, sans doute, ignorait l’histoire.

Pour débrouiller l’écheveau, le dépouillement des archives Gurlitt a été évidemment essentiel, mais il a fallu en passer aussi par celles du Commissariat général aux questions juives et celles du département des Alpes-Maritimes, par les catalogues où les œuvres avaient été répertoriées avant l’Occupation. Ce qui explique qu’il ait fallu près d’une décennie entre la saisie des œuvres et leur restitution aux héritiers d’Armand Dorville.

Philippe Dagen

Article paru dans Le Monde

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Emmanuelle Polack, la réparatrice

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PORTRAIT – Spécialiste du marché de l’art sous l’Occupation, elle vient d’être missionnée par le Louvre pour vérifier la provenance des achats effectués par le musée entre 1933 et 1945.

Elle court, elle court Emmanuelle Polack. 55 ans, cartable sempiternellement pendu au bout du bras, l’historienne de l’art vient de faire son entrée au Louvre, afin de passer au crible tous les achats effectués par le musée entre 1933 et 1945 – avec l’idée d’en retracer l’historique et de repérer d’éventuelles provenances douteuses.

La tâche, dantesque, pourrait s’avérer une boîte de Pandore pour le Louvre. Lequel a pourtant décidé de prendre les choses à bras-le-corps. «Il n’y a jamais de risques à regarder la vérité en face», affirme Jean-Luc Martinez, son président-directeur. Emmanuelle Polack, spécialiste du marché de l’art sous l’Occupation, auquel elle a consacré un livre et une exposition au Mémorial de la Shoah, à Paris, devrait faire avancer les choses. Elle qui a la réputation de ne jamais rien lâcher promet de faire les choses en douceur – elle sait que les conservateurs de musées, au sens large, ont été très longtemps rétifs à restituer des œuvres spoliées sous l’Occupation.

La suite de cet article sur le site du journal « Le Figaro »

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Exposition : quand le malheur des juifs faisait la richesse des marchands d’art

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Au Mémorial de la Shoah, une exposition montre que des commissaires-priseurs, antiquaires, conservateurs ont profité des spoliations.

On se croirait dans un polar aux personnages monstrueux de Romain Slocombe, où se croisent des nazis, des collabos, des délateurs, la gestapo. Plus des marchands véreux qui s’enrichissent et des administrateurs aryens des biens juifs qui s’en mettent eux aussi plein les poches. Malheureusement, il ne s’agit pas d’une fiction.

L’historienne d’art Emmanuelle Polack, auteure d’une thèse et d’un livre intitulé Le Marché de l’art sous l’Occupation (Tallandier, 304 pages, 21,50 euros) et commissaire d’une exposition sur le même thème au Mémorial de la Shoah, démontre, en quelques tableaux – dont certains encore conservés par les musées de France – et une quantité de documents, qu’il faut hélas ajouter aux canailles précédentes quelques autres corps de métier.Lire la critique : Emil Bührle, collectionneur spoliateur

Ainsi des commissaires-priseurs de Drouot (dont l’entrée était interdite aux juifs, mais pas aux œuvres qu’on leur avait volées), lesquels furent les complices intéressés d’une spoliation sans précédents. Aux trois « D » (décès, dette, divorce) qui traditionnellement sont à l’origine de la plupart des ventes aux enchères, il fallait en ajouter un quatrième : « D » pour « déportation ». Un marchand nommé Jean-François Lefranc avait même trouvé ce moyen pour s’enrichir. Afin d’obtenir des tableaux à moindres frais, il en dénonçait les propriétaires. L’un d’eux, le marchand René Gimpel, mourut au camp de concentration de Neuengamme, dans la région d’Hambourg.

N’oublions pas certains experts, qui n’hésitaient pas à sous-estimer les tableaux pour pouvoir les racheter eux-mêmes à bas prix. Ni les antiquaires, réunis en association dont le président nommait les administrateurs des galeries d’art confisquées aux juifs, à charge pour eux d’en liquider le stock, sur lequel ils touchaient 10 %. Les journalistes aussi, eh oui, qui mêlaient dans une même détestation les juifs et l’art moderne que ces derniers avaient soutenu.

Salut nazi au Jeu de paume

Les conservateurs de musée enfin : pour un Jean Cassou, révoqué par Vichy puis Compagnon de la Libération, pour une Rose Valland, qui tint méticuleusement l’inventaire des œuvres saisies par les nazis, lesquels les faisaient transiter par le Musée du Jeu de paume où elle travaillait, combien fermèrent les yeux sur l’origine de tableaux qu’ils espéraient voir enrichir les collections nationales ? A raison, d’ailleurs, puisque certains y sont toujours…Lire la critique : Rose Valland, une femme discrète témoin des spoliations nazies

Comment est-ce possible ? Un exemple : Le Front de l’art (RMN, 2014), livre que publia Rose ­Valland en 1961, après avoir intégré l’état-major de la 1re armée du général de Lattre de Tassigny pour tenter de récupérer en Allemagne les œuvres volées en France, a été réédité en 1997 et 2014. Parmi les illustrations, l’une montre la visite au Jeu de paume d’un dignitaire allemand. Il y est accueilli par une courbette de René Huyghe, conservateur au Louvre, qui intégra ensuite (le 6 juin 1944) la Résistance. Or, la photo était ­recadrée : Emmanuelle Polack la montre dans son intégralité, et c’est instructif. La partie coupée représente en effet Germain Bazin, l’adjoint de Huyghe, faisant le salut nazi. Bazin fut, jusqu’à sa mort, en 1990, une personnalité considérable des musées de France, dont on préférait oublier le geste malheureux.

À la Libération, tout continua comme avant, ou presque : quelques marchands furent bien condamnés à de fortes amendes, mais la plupart continuèrent leur petit commerce

On constitua bien une commission de récupération : y figure, notamment, René Huyghe, mais aucun juif. Et il semble qu’elle ait eu les plus grandes difficultés à identifier les propriétaires des œuvres. Même quand ils sont, constate malicieusement Emmanuelle Polack, le sujet du tableau, comme la baronne Betty de Rothschild peinte par Ingres en 1848… A la fin de l’exposition au Mémorial de la Shoah, l’historienne a installé un centre de documentation, pour initier les personnes intéressées à la recherche des provenances. On suggère aux conservateurs d’aujourd’hui d’aller y faire un tour.Article réservé à nos abonnés Lire aussi  En Allemagne, la Documenta de Cassel réunit les pillages coloniaux et nazis

Car, à la Libération, tout continua comme avant, ou presque : quelques marchands furent bien condamnés à de fortes amendes, mais la plupart continuèrent leur petit commerce, dans des entreprises devenues, en quatre ans, opulentes. Les marchands juifs survivants eurent les plus grandes difficultés à recouvrer leurs biens, quand ils y parvinrent. Le seul commissaire-priseur juif, Me Maurice Rheims, réintégra sa charge à sa manière, flamboyante : il revint à Drouot avec l’uniforme de l’armée alliée, dans laquelle il avait combattu, le pistolet au côté, et aucun de ses confrères ne broncha… D’ailleurs, les mêmes qui vendaient les biens juifs organisèrent promptement des ventes de charité au profit des « enfants évacués », des « FFI et de leur famille », sans oublier, et c’est un comble, des « prisonniers et déportés rapatriés ». Cela, même Romain Slocombe ne l’aurait pas osé.

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Une exposition documente la réalité du marché de l’art sous l’Occupation

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Quelles pratiques et quels réseaux les acteurs du marché de l’art ont-ils mis en place entre 1940 et 1944 ? Inaugurée le 19 mars par le ministre de la Culture à l’occasion de la Semaine d’éducation et d’actions contre le racisme et l’antisémitisme, une exposition passionnante au Mémorial de la Shoah, à Paris, documente un pan méconnu de la vie sous l’Occupation.

A compter de l’été 1941 deux mondes parallèles coexistent sans se rencontrer : tandis que les Juifs de France voient leurs biens confisqués, un vent d’euphorie gagne l’ensemble des circuits traditionnels du marché des œuvres d’art. L’historienne Emmanuelle Polack, auteur d’un ouvrage sur Le marché de l’art sous l’Occupation, 1940-1944 (éditions Tallandier, 2019) et commissaire scientifique de l’exposition qui aura lieu au Mémorial de la Shoah à partir du 20 mars, revient sur une sombre réalité, celle du commerce de l’art sous l’Occupation.

Dans votre livre comme dans l’exposition présentée au Mémorial de la Shoah, vous abordez la question de la spoliation des biens culturels des familles juives sous un angle inédit : celui de l’histoire du marché de l’art sous l’Occupation – une histoire longtemps passée sous silence. Pourquoi une si longue amnésie ?

Cette situation est due, selon moi, à une conjonction de facteurs individuels et sociétaux. J’ai pu m’apercevoir, au cours de mes recherches, que de nombreuses familles juives n’ont pas pu ou pas su s’intéresser à ce qu’il était advenu de leurs œuvres d’art après la Seconde Guerre mondiale. L’explication est évidente : pendant la période de l’immédiat après-guerre, les pensées de ces familles, qui avaient été décimées, allaient à la perte de proches, pas à leurs meubles ou tableaux. La question des biens matériels était, à ce moment-là, très secondaire.

Cette période de reconstruction personnelle a également coïncidé, dans les années 1950, avec les débuts de la construction européenne. La priorité était alors au rapprochement entre la France et l’Allemagne. Une page se tournait. Il faut savoir qu’en 1951, deux tiers des biens spoliés retrouvés et ramenés en France ont déjà été rendus à leurs légitimes propriétaires par la « Commission de récupération artistique ». Les 2143 œuvres restantes ont été confiées aux musées nationaux, dans l’attente que les familles concernées se manifestent. Ce n’est qu’à la fin des années 1990 qu’une politique de restitution plus volontariste a été mise en place par la France.

Lorsque je commence mon enquête, en 2012, je constate enfin que les archives dédiées à ce sujet sont extrêmement difficiles d’accès et que le milieu du marché de l’art, qui a échappé à l’épuration, contrairement, par exemple, au milieu littéraire, n’a pas nécessairement envie de rouvrir ce chapitre de son histoire.

Quel est le parcours de l’exposition ?

Dans la première partie de l’exposition nous montrons comment l’art moderne, qui a été qualifié par le régime nazi d’art « dégénéré » est devenu, en France, « judéo-bolchévique », et comment il a été défendu, envers et contre tout, par plusieurs galeristes – Berthe Weill, Pierre Loeb… A partir de ces exemples précis, le visiteur pourra ainsi découvrir ce qu’être un marchand d’art juif signifiait sous l’Occupation. Un panorama de la législation antisémite qui est alors en vigueur vient compléter ce premier tableau.

Au cours de l’année 1941-1942, le marché de l’art est florissant, près de 2 millions d’objets ayant été vendus à Paris

Nous nous sommes intéressés, dans un second temps, aux ventes aux enchères publiques, notamment celles de l’hôtel Drouot, à Paris, et de la French Riviera, à Nice. L’exposition montre le caractère florissant de ce marché sous l’Occupation, mais aussi sa part sombre : les mesures d’exclusion sont alors appliquées aux Juifs qui, à partir du 17 juillet 1941, ne peuvent plus assister aux ventes aux enchères.

Dans une salle intitulée « l’Atelier du chercheur de provenance », où figurent quatre œuvres restituées aux ayant-droits de familles juives spoliées. Cette salle dévoile, comme son nom l’indique, les différentes étapes d’une telle recherche. Elle permettra de donner aux familles qui se posent des questions tous les éléments quant aux démarches à initier pour récupérer leurs biens.

L’ambition de l’exposition est de montrer, documents à l’appui, la réalité du marché de l’art sous l’Occupation. Quelle est-elle ?

A Paris, il y a un colossal afflux de marchandises et énormément de liquidités – le Reich surévaluant fortement sa monnaie, le pouvoir d’achat de l’occupant était plus que doublé. L’hôtel Drouot devient le lieu le mieux achalandé de Paris. On y trouve tout : des grands millésimes, des bijoux, des fourrures et bien sûr des tableaux, du mobilier. Au cours de l’année 1941-1942, près de 2 millions d’objets y sont vendus.

La clientèle de Drouot change elle aussi : les Juifs ne peuvent plus entrer à Drouot mais tous ceux qui se sont enrichis grâce au marché noir viennent y écouler leurs liquidités contre des marchandises. Les nantis s’y rendent en vue d’acquérir des produits manufacturés. On y retrouve, enfin, une clientèle nazie sensible au spectacle que représentent les ventes de tableaux, ainsi que des collectionneurs venus d’Allemagne pour faire de bonnes affaires.


De façon plus générale, quelles questions ce sujet soulève-t-il ? Pourquoi est-il important de le traiter aujourd’hui ?

Ce marché de l’art en état de surchauffe participe d’un véritable cynismede la part des autorités françaises. L’afflux de marchandises dont il bénéficie vient en partie des confiscations des œuvres d’art appartenant aux familles juives. Cette politique de confiscation s’inscrit, on le sait, dans un continuum allant de la stigmatisation à la déportation. Les belles ventes que les commissaires-priseurs font sous leurs marteaux d’ivoires ont, en toile de fond, l’extermination des Juifs de France. L’ambition de cette exposition consiste à rappeler avec force cette vérité.

Une coopération inédite avec les musées nationaux 

Vente aux enchères. Paris, galerie Charpentier, juin 1944. ©Lapi/Roger-Viollet.

Une douzaine des tableaux issus de la collection Dorville – il s’agit de la collection du grand amateur d’art, Armand Isaac Dorville, mort un an plus tôt, qui avait été dispersée en juin 1942 au Savoy-Palace, à Nice – sont encore dans les collections nationales. Le Louvre, le Musée d’Orsay et le Musée des Arts décoratifs en ont prêté quatre au total au Mémorial à l’occasion de l’exposition « Le Marché de l’art sous l’Occupation ». Les visiteurs pourront ainsi admirer, au fil de leur visite, trois œuvres issues du cabinet des arts graphiques du musée du Louvre et du musée d’Orsay, dont la Jeune femme debout sur un balcon contemplant des toits parisiens de Jean-Louis Forain, ainsi que deux œuvres de Constantin Guys, Conversation galante à Stamboul et Cavalier turc, faisant partie des collections du musée des Arts Décoratifs. « On ne peut que se féliciter de cette formidable coopération qui laisse envisager de futures actions communes », estime Emmanuelle Polack.

Source : https://www.culture.gouv.fr/Actualites/Une-exposition-documente-la-realite-du-marche-de-l-art-sous-l-Occupation

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Emmanuelle Polack invitée d’Affaires sensibles – France Inter

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Emmanuelle Polack sur France Inter

Le 5 avril 2019 Emmanuelle Polack était l’invitée de l’émission de Fabrice Drouelle, Affaires sensibles sur France Inter consacrée à l’ « L’affaire Cornélius Gurlitt »

Extrait :

Une fiction écrite par par Renaud Meyer et réalisée par Baptiste Guiton. Sous le IIIe Reich, quand les nazis volaient des œuvres d’art appartenant à des collectionneurs juifs… Invitée Emmanuelle Polack commissaire scientifique de l’exposition « le Marché de l’Art sous l’Occupation » au Mémorial de la Shoah

Historienne et scénariste, Emmanuelle Polack est en charge des archives du musée des Monuments français au sein de la Cité de l’Architecture et du Patrimoine. Elle a assuré, en 2010, le commissariat de l’exposition « Rose Valland sur le front de l’art », fruit de sa recherche sur le marché de l’art sous l’Occupation, ainsi que l’exposition « Paysans et artisans du Yiddishland, 1921-1938 » au musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme en 2006.

« Par ordre du Commissariat général aux affaires juives : l’accès aux maisons de ventes aux enchères est strictement interdit aux Juifs » exposé au Mémorial de la Shoah à Paris © AFP / FRANCOIS GUILLOT
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