La Galerie Pierre au prisme des lois de Vichy
Extrait du catalogue « L’Art en Guerre France 1938-1947 » de la splendide exposition au musée d’art moderne :
La géographie parisienne des galeries d’art dévoile une rive gauche assez peu représentée dans les années 1930 ; il faut reconnaitre qu’elle connut son apogée lors de la belle époque de Montparnasse, à l’aube des années 1920. Seuls quelques marchands de tableaux, pour la plupart d’art moderne, sont établis dans le 6 e arrondissement. Léopold Zborowski (1889- 1932), Katia Granoff (1895-1989) et Pierre Loeb (1897-1964) comptent parmi les plus prestigieux. Dès le milieu des années 1920, la jeune galerie Pierre, que Pierre Loeb a ouverte au 2, rue des Beaux-Arts, s’attache à promouvoir les recherches picturales des modernes. En 1939, elle présente des expositions du sérail de l’avant-garde, Picasso en tête, César Domela, Joan Miro, Henri Laurens et Wifredo Lam.
Les lois d’exclusion mises en place dès octobre 1940 par le gouvernement de Vichy, en particulier la législation sur l’aryanisation économique, obligent les marchands juifs, soit à cesser leurs activités, soit à confier leurs galeries à des prête-noms, soit encore à brader leur commerce. Pierre Loeb, juif, est ainsi « invité » par un administrateur provisoire à céder la galerie Pierre le 23 mai 1941 à son confrère Georges Aubry. L’affaire a-t-elle été entendue entre les deux marchands ? On peut l’imaginer. Néanmoins, c’est la mort dans l’âme que Pierre Loeb se part à Cuba, afin de mettre les siens à l’abri des dangers de l’Occupation. Lors de la Libération, Georges Aubry se montre peu enclin à honorer le contrat moral qui stipule la restitution, à l’issue de la guerre, de la galerie Pierre à son ancien propriétaire. Pierre Loeb de retour de la Havane, confie à son ami Picasso les difficultés qu’il rencontre quant à la reprise de la galerie Pierre. Picasso se fend alors d’un appel à Georges Aubry, qu’il connait bien, pour lui annoncer d’un ton laconique : « Pierre est revenu, il reprend la galerie [1]». La chance de Pierre Loeb est qu’en 1945, aucun galeriste de la place de Paris ne peut contrarier le « maître » sans risquer de voir compromise à tout jamais son activité commerciale dans la capitale française comme sur la scène internationale.
Le nom de Georges Aubry figure à maintes reprises dans les dossiers « MNR » du site Rose Valland[2] ; il a vendu, pendant la guerre, des tableaux à la Städtische Galerie de Francfort et au Museum Folkwang d’Essen. Toutefois, à l’instar de quelques confrères, il supportera sans trop de dommages l’épuration du marché de l’art parisien.
Emmanuelle Polack
[1] Entretien le 27 février 2009 avec Albert Loeb, fils de Pierre Loeb.